Touch'pas à mon pont
Extrait de La Sacoche n°39bis - spéciale Pont du Gard
Le Pont du Gard ! Qui ne connaît cet imposant monument, grand oeuvre de l’époque romaine ? Qu’on se souvienne de «Pâques en Provence » en 1991 (La Sacoche n°21 –mai 2011). Pour les cyclos gardois, ce site prestigieux qui défie les siècles procurait depuis longtemps le plaisir renouvelé d’inclure dans leurs circuits le passage par la D981 qui relie Remoulins à la D19 en franchissant le Gardon en longeant le Pont par le pont "Pitot"(*).
Et puis au début du 21ème millénaire arrivent les «aménageurs », les « metteurs en valeur ». La commune de Vers se dit « propriétaire » des lieux, mais Remoulins, carrefour des routes touristiques de la rive droite, rêvait de retombées substantielles. L’inscription du Pont du Gard au Patrimoine Mondial de l’Humanité n’était que juste reconnaissance. Il faut à ce propos se souvenir que les fonds versés par l’UNESCO, l’Europe et l’Etat le furent sous réserve de maintenir la gratuité d’accès aux piétons, cyclistes et cavaliers. On vit se créer un musée et ses annexes touristiques, assortis du barrage d’un parking grassement payant, tout visiteur étant réputé venir pour s’instruire. Tarifs tellement dissuasifs qu’ils furent légion à faire demi-tour.
Moult astuces virent le jour pour échapper à cette dîme exorbitante. Avec quelques innocentes ruses de Sioux, un vélo arrivait à franchir le filtre. Malgré tout, l’affaire restait juteuse et pouvait tolérer quelques fuites anodines. Des aménagements de mise en valeur du site, il y en eut à gogo jusque dans le lit de la rivière. Un jour, le Gardon y mit bon ordre en nettoyant ses rives par une de ces crues dont il a le secret ( La Sacoche n°39). Force resta à la Nature . Satisfaction.
Avril–mai 2013, le Gard se réveille en émoi car il est subitement question de resserrer la vis devant tant de resquille.Resquille qui représenterait paraît-il environ 1% du chiffre d’affaires généré par les quelques 1,2 millions de touristes soit 1 milliard d’euros (chiffre avoué par ces mêmes aménageurs qui veulent faire payer lepassage ). Fallait-il pour autant punir de façon arbitraire toute une population adepte de la petite reine ? Il y a de quoi «rouméguer» et lâcher les «toros».
Mais bon sang ! nous dit-on, de quoi se plaignent les Gardois ? Ils bénéficieront de la gratuité……….à condition que le maire de leur commune leur délivre chaque année le précieux ausweis. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? On croit savoir que les maires ne sont pas chauds.Dans cette logique mercantile, quid de la famille éparpillée sur l’Hexagone ou ailleurs, quid des copains cyclos venus d’ailleurs, imaginez le filtrage au contrôle ! « Papiere » ! Le royaume d’Ubu….Je suggère pour éviter les falsifications ( le gardois est reboussier, c’est connu) que l’on greffe à la naissance une puce aux bienheureux nouveaux-nés…. Ah mais, nous dit-on, les contrôleurs ont l'oeil et savent reconnaitre les "estrangers" !! Peste ! On craint le pire !
La sagesse ( la désespérance ?) voudrait qu’on remballe la rogne et qu’on s’en aille cycler ailleurs, mais au plan de l’éthique libertaire qui nous anime, est-il acceptable pour les paisibles promeneurs que nous sommes, par ailleurs honnêtes contribuables, de ne plus pouvoir franchir le pont Pitot qui longe les arcades romaines séculaires, ni marquer sereinement une pause de l’autre côté au pied de l’olivier en écoutant «chouquer » les choucas, hôtes de ces lieux ? Est-il acceptable de devoir payer pour la vue du Pont ? Et que l'on n'y voit pas une remise en cause de l'utilité d'un parking payant si l'on ne paie que le parking. Et pas davantage l'utilité du Musée dont la création n'impliquait pas la privatisation d'un site du Patrimoine Mondial de l'Humanité.
Mais qu'on se rassure, l'histoire n'est pas finie, la gent pédalante gronde, fulmine, se mobilise. Par exemple l'Association Voie Verte Pont du Gard, mais aussi le Comité Départemental Cyclotourisme (CoDep30) qui est à l'initiative de la "convergence" du 8 juin. La Sacoche ne manquera pas de couvrir cet événement (n°40 à venir).
Il nous paraît ici intéressant de rapprocher "l'affaire du Pont du Gard" de celle du Mont St Michel car ils sont nombreux les beaux sites à admirer, susceptibles d'aménagements lucratifs et liberticides.
Affaire à suivre donc.
Marcel VAILLAUD
(*) Pitot , brillant ingénieur, né à Aramon (Gard) en 1695, participa entre autres à la restauration du Pont du Gard et créa le pont latéral au monument, actuellement barré et soumis à l'octroi, alors qu'il fait partie du projet de la Voie Verte de Beaucaire-Remoulins vers Uzès !
La Sacoche n°39bis : CLIQUER ICI